Dans la première grande exposition de Cy Twombly en Grande-Bretagne depuis 1987, les œuvres plus décevantes sont aussi les plus révélatrices. Après plusieurs salles évocatrices et vous coupant le souffle avec des peintures ondulantes de vie et de couleurs, deux séries de tirages guindées apparaissent – une de pivoines, une autre de tulipes – montrant précisément les limites de la représentation que Twombly arrive si profondément à dépasser ailleurs. Si ces photographies indulgentes et doucement jolies avaient été réalisées par quelqu’un d’autre, elles justifieraient à peine un coup d’œil. Mais elles sont de l’un des maîtres de la peinture américaine – un artiste qui mérite d’être un nom familier de la même manière que l’est Jackson Pollock. Twombly, né en Virginie en 1928, est un contemporain de Jasper Johns et Robert Rauschenberg ; comme eux, il a lutté pour la domination de l’expressionnisme abstrait en Amérique comme étudiant et jeune artiste dans les années 1940 et le début des années 1950. En 1952, il a reçu une subvention lui permettant de voyager à travers l’Europe et l’Afrique du Nord. Pendant le reste de la décennie, Twombly partagea son temps entre New York et Rome, s’éloignant peu à peu de l’expressionnisme pour développer son propre style, trouvant ainsi l’inspiration dans la poésie, la mythologie et les classiques et travaillant dans des styles de plus en plus métaphoriques et allégoriques. Depuis qu’il s’est installé en Italie en 1959, son imagerie s’est fortement inspirée par la littérature et l’histoire de l’Europe.
Cy Twombly – Promesse d’une beauté sensuelle immédiate.

Il fut l’un des derniers grands peintres américains de l’époque expressionniste abstraite. En 2008, une magnifique rétrospective de l’artiste à la Tate, la première en 15 ans, a montré l’étendue de son œuvre remarquable.


Toutefois, il y a très peu de cela dans la danse florale qu’est cette exposition dont les œuvres ont été sélectionnées par Twombly parmi son travail réalisé au cours des deux dernières décennies et qui est largement inspiré par la beauté des bulbes et des plantes vivaces – un thème adapté aux jardins botaniques royaux de cette galerie d’Édimbourg. Sur les photographies, les tulipes sont dodues, décadentes et floues ; les pivoines crème, tellement examinées, qu’elles commencent à faire l’écho d’autres choses : des parures de lingerie, des tas de crème caillée, des monticules d’éponges naturelles et, sur un fond sombre, le champignon atomique d’une explosion nucléaire. Ce que Twombly semble vouloir faire est de capturer sur le papier la beauté luxueuse de ces fleurs et le ressenti que l’on a lorsque l’on contemple cette beauté exquise et fragile pendant une journée chaude et sereine. Les photographies ne peuvent pas faire plus que de nous rappeler ce sentiment : vous pouvez zoomer autant que vous le pouvez avec un objectif, il n’existe aucune garantie que cela vous aidera à saisir l’essence des choses. Les peintures représentent toutefois ce sentiment : elles incarnent à merveille à la beauté du monde naturel.
Ce n’est pas un nouveau territoire pour les artistes, et c’est un soulagement de voir Twombly déconstruire des notions familières même lorsqu’il les célèbre. Une salle pleine de toiles d’iris capte la grandeur hautaine de la plante – brumeuses, telles des volutes de barbe à papa éclatantes de vie au sommet de tiges épaisses et sombres comme celle de la rhubarbe — mais elle montre également un Twombly qui brise les conventions des dessins et images botaniques en gribouillant sur la toile au crayon rouge « iris » et d’autres fragments de texte à moitié lisible. Twombly a travaillé en tant que cryptographe dans l’armée américaine pendant les années 1950, et il est tentant de lire cet aspect de sa biographie dans l’utilisation déconcertante du langage dans ses toiles, par exemple dans l’utilisation de noms de lieux, de mots répétés et de fragments d’autres textes. La sculpture d’une rose évoque également le traditionnel (un patch de roses foncées suggère que la fleur en pleine floraison ; un haïku souligne sa beauté qui s’évanouit) tout en s’éloignant. Sous certains angles, le travail ressemble à un gâteau à la crème inspiré par un corps humain décapité et orné d’une cigarette en plastique.

Ceux qui ont admiré le travail de Twombly sur l’antiquité classique pourraient penser que cette exposition montre un artiste mature qui se tourne vers des occupations plus détendues et convenant à son âge avancé. En fait, les œuvres impliquant intensément le travail botanique explorent le pourquoi et le comment de nos représentations du monde naturel. Leurs couleurs oniriques intenses s’étendent à un passé perdu il y a longtemps, donnant aux œuvres une résonance en contradiction avec leurs surfaces gribouillées et leurs formes fracturées. Et même s’il utilise de nouveaux médias – comme les gribouillages similaires à des graffiti qui défigurent mais également approfondissent son travail – Twombly s’appuie sur le haut art de la culture antique. Avec des œuvres s’étalent sur 20 ans, l’exposition retrace également la relation de Twombly face au temps et à l’espace au cours de sa carrière. Un certain nombre d’œuvres rappellent des moments dans des lieux spécifiques : il existe des références aux Seychelles ; à Gaeta, où Twombly a un atelier ; à Rome et, tout simplement « le jardin ». Son déménagement en Italie a permis au peintre américain de travailler dans le genre de lumière de l’été qui sublime les formes plus simples. Une fleur à la lumière du soleil, ou un coucher de soleil flamboyant après une chaude journée : c’est ce qu’il capte dans ces œuvres élégantes, épiques et douces à la fois. Elles peuvent ne pas être aussi allégoriques ou intellectuellement exigeantes que certains de ses tableaux, mais dans ces toiles explosives de couleurs, à la fois ludiques et festives, Twombly capte quelque chose de la vie d’une rose, d’un iris et d’une pivoine. Au lieu d’un signe de déclin, nous voyons ici un artiste qui est à l’apogée de son talent.